Le Mot du lauréat
Le Léguer est une histoire de mobilisation citoyenne.
Modeste fleuve côtier Breton, long de 58 kms de la source à l’estuaire (1000kms de chevelus sur le bassin versant), le Léguer présente l’enviable privilège d’abriter une population de truites farios de souche ainsi qu’une population significative de saumons atlantiques auxquelles il faut ajouter, anguilles, lamproies marines et aloses.
L’encaissement de sa vallée et la relative préservation du paysage bocager de sa partie amont, protègent la rivière qui s’est vu décerner en 2017 le label « Site Rivières Sauvages ».
Au tournant des années 70/80 la rivière était pourtant en grande difficulté. Régulièrement polluée par les effluents de l’abattoir Tilly à Guerlesquin (partie amont), les épisodes de mortalité massive des poissons y étaient récurrents. De nombreuses piscicultures en surcharge chronique représentaient une menace sanitaire permanente et l’UDN (dermatose fulgurante) détruisait chaque année la plupart des grands saumons de printemps. La vidange décennale du barrage de Kernansquillec, situé juste à l’aval de la confluence du Guic et du Guer (cours moyen), venait encore assombrir le tableau avec son lot de vases charriées colmatant frayères et habitats piscicoles…
En 1984, une violente tempête dévaste la Bretagne. La vallée est saccagée, la rivière entravée par de nombreux embâcles qui vont nécessiter l’intervention des collectivités et déclencher dans la population une prise de conscience de la valeur du bien commun que représente la rivière. Les associations sont alors très actives (notamment Eau et Rivières de Bretagne). La collaboration avec les élus locaux et les organisations professionnelles agricoles se scelle autour de cet enjeu et donne naissance à l’Association pour la Protection et la Mise en Valeur Vallée du Léguer. Sous une autre forme, cette collaboration originale est toujours à l’œuvre au travers du « Bassin Versant Vallée du Léguer ».
En 1995, la destruction du barrage de Kernansquillec (premier grand barrage hydro-électrique effacé en France) est ordonnée par l’Etat pour cause d’insécurité. La rivière est libérée de cet obstacle infranchissable pour tous les poissons. Truites et saumons vont dorénavant coloniser l’ensemble du cours amont, démultipliant ainsi (pour le saumon surtout) les accès aux frayères, donc le potentiel de reproduction.
Un tel potentiel piscicole appelle, bien entendu une gestion halieutique rigoureuse et respectueuse du milieu.
Le contexte Français de la pêche associative, très demandeur de réglementation simplifiée et unifiée, donc peu adaptée aux exigences de gestion d’une rivière à migrateurs, a contraint notre association à de nombreuses adaptations. Ses rapports avec les structures fédératives ont beaucoup évolué ces dernières années.
Durant plusieurs décennies, les AAPPMA de Belle-Isle-en-Terre et Lannion sont restées à l’écart de la vie fédérale, estimant (à tort ou à raison) la Fédération incapable de répondre aux enjeux spécifiques de notre rivière. Elles ont bénéficié du contexte de mobilisation locale et développé, en proximité avec les élus de la vallée et l’Association pour la Protection et la Mise en Valeur de la Vallée du Léguer une pêche en « gestion patrimoniale » caractérisée principalement par l’absence de déversement piscicole sous quelque forme que ce soit. Elles ont également produit une forte culture de « chantiers de rivière » qui a soudé les équipes de bénévoles.
Mais cet isolement a également généré des effets moins désirables.
Nos associations ne pouvaient compter sur les moyens nécessaires à la bonne gestion de la rivière. Non inclues dans la vie fédérative elles ne pouvaient non plus participer à la réflexion concernant la nécessaire évolution de la pêche et notamment celle si particulière, du saumon atlantique.
Elles ont récemment décidé de fusionner en une seule « l’AAPPMA Le Léguer » pour mutualiser leurs moyens, mieux s’adapter aux évolutions des collectivités locales (Communauté de Communes), et renouer le dialogue avec leur Fédération.
Le Léguer propose aujourd’hui aux pêcheurs 3 parcours mouche no-kill sur un peu plus de 6 kms de rivière, dont un sur réservation (gratuite) à la journée (entre 300 et 400 réservations/an sur ce seul parcours). Leur entretien et leur signalisation y garantissent une pêche particulièrement qualitative.
Ces parcours sont très prisés des pêcheurs touristes et génèrent une activité d’hébergement local en milieu rural.
On comprendra aisément que les récipiendaires ici présents tiennent à dédier ce prix, aux précédentes équipes qui se sont investies dans la vie de l’association depuis plusieurs décennies, à l’association « Eau et Rivières de Bretagne » (dont est membre l’AAPPMA), aux élus des communes de la vallée et aux nombreux habitants qui ont apporté et apportent aujourd’hui leur soutien à la sauvegarde d’un patrimoine précieux et partagé.
Jean-François Jeandet
Président de l’Aappma « Le Léguer »